Photographie et mer: navigation au Danemark à bord d’Hawila, voilier-cargo en bois
Hawila est un voilier deux mâts de 32 mètres, tout en bois, construit en 1935 en Norvège. Le bateau est en cours de restauration par un collectif à Copenhague depuis l’été 2014. Le projet est de recommencer le transport à la voile et par là sensibiliser aux défis écologiques posés par le transport maritime. Après trois années de rénovation, Hawila a repris la mer, et j’ai eu la chance de participer à un bout de ce voyage scandinave au mois d’août dernier.
J’étais arrivée à bord de l’Hawila par hasard un jour de printemps. J’étais de passage à Copenhagen et je cherchais un logement. Dans les suggestions d’Airbnb pour un logement pas cher, apparaît un lit superposé sur un bateau en bois. Une nuit sur un bateau, qui plus est un voilier, qui plus est un vieux gréement? bien sûr, j’y suis allée… C’était rustique mais magnifique. Difficile de rester indifférente à ce bateau et son équipage. J’avais adoré mon passage à bord. Au lieu de visiter la ville j’avais participé aux travaux, rêvassé sur le pont, discuté dans la cuisine avec la belle bande de marins-résidents-logeurs.
Un an plus tard, l’occasion de naviguer avec eux se présente… Je rejoins le bateau à Rostock, lors du festival de voiliers traditionnels d’Hanse Sail. Hawila est belle, je retrouve l’éblouissement que j’avais eu un an plus tôt en croisant ce deux mâts à Copenhague. L’équipage m’accueille. Souriants, passionnés, ils vivent à temps plein sur le voilier. Ils sont français, italiens, danois, allemands, argentins, suisses, belges… Ils arrivent de Risør, en Norvège, où ils ont visité le chantier naval où Hawila a été construite en 1935, et sont passés par Öckerö, où elle fut bateau-école de 1979 à 2006. Au long de notre navigation d’une semaine entre îles danoises, ils me racontent l’histoire du bateau et du projet.
L’histoire du bateau
Hawila a été conçue en 1935 par une entreprise familiale de transport qui livre de la glace aux pêcheurs en Norvège et Suède. A partir du milieu des années 60, la hausse des salaires et les travaux d’entretien rendent l’activité impossible et le bateau est laissé au port pendant plusieurs années. En 1979, un groupe d’enseignants d’Öckerö en Suède a l’idée de la restaurer avec l’aide d’élèves d’une école primaire et de la transformer en bateau-école. La cale est transformée en dortoir de 30 lits superposés.
En 2006, les coûts liés à l’entretien du bateau forcent les enseignants à vendre à leur tour. Elle est vendue à un Danois qui l’utilise pour de courts déplacements sur la mer Baltique. Il la transforme ensuite en maison d’hôtes à Copenhague. Mais le propriétaire quitte le pays en 2013. Le bateau se dégrade à nouveau, et son démantèlement est envisagé.
En 2014, un collectif d’étudiants et de jeunes enthousiastes tombent amoureux d’Hawila. Ils décident de créer une organisation à but non lucratif appelée Hawila Project afin de commencer sa restauration. Le projet Hawila commence, avec rien en poche mais une énorme motivation.
Un projet au-delà de la voile
Au-delà du projet ambitieux de restauration du bateau pour la navigation, le projet Hawila poursuit un idéal bien plus large: initier les changements nécessaires aux défis écologiques actuels. Le cargo à la voile est au cœur du projet et est un écho de la première vie du bateau. Le transport à la voile ça a l’air fou, mais c’est une véhicule idéal pour sensibiliser à la pollution énorme causée par le transport maritime basé sur les énergies fossiles. Ca déclenche aussi une réflexion sur la façon dont les produits sont expédiés aujourd’hui sans limites d’un océan à l’autre. Le transport de produits bios à la voile se pose en alternative de transport régional et international en ramenant l’empreinte carbone à quasi zéro.
Hawila redevient aussi un bateau-école, et acceuille enfants et adultes pour de la voile et de sensibilisation à l’environnement. Elle sert également à nouveau de maison d’hôtes pour commencer à rassembler les fonds nécessaires à sa rénovation. Des collaborations en danse et arts complètent le projet. La restauration du bateau elle-même demande beaucoup de travail et d’énergie. Quand j’avais vu Hawila à Copenhagen il y a plus d’un an, elle était à quai et ne pouvait pas naviguer. Plusieurs chantiers ont été organisés par le collectif.
Le retour d’Hawila à la mer
Cet été, Hawila a remis les voiles au navire pour la première fois, après trois années de restauration. De Rostock, nous partons vers l’île d’Ærø au Danemark. Les manoeuvres pour monter les voiles mobilisent huit personnes. Tout est fait à la force du bras. Le vent nous rejoint et Hawila glisse sur l’eau avec des pointes à 7 noeuds. C’est le pied. 24h de navigation nous séparent d’Ærø. Entre les couchers et levers de soleil somptueux, les navigations de nuit sont rythmées par les manoeuvres, les gâteaux cuisinés à bord, les sessions de musique improvisées. Quand on sort les instruments de musique à 2h du matin sur le pont, je remercie les étoiles de ma chance d’être là. Ærø est une île au riche passé maritime, on y visite l’impressionnant musée naval Marstal Sofarts. Des liens sont créés avec le musée pour les projets éducatifs, et avec une production artisanale de savons pour le projet de cargo-voile entre le Nord et le Sud de l’Europe. Puis on rejoint l’île de Samsø par la route des cargos. On y croise des ferries hauts comme des immeubles.
Photographie sur le bateau
Je n’avais pas vraiment réfléchi à ce que j’allais photographier et comment j’allais photographier, mais j’avais pris mon appareil avec le 24mm 2.8 et le 50 mm 1.4.
Les notes que j’ai prises pour une prochaine fois
- Le besoin de protéger le matériel: une banalité mais autant y réfléchir trois fois: l’eau le sel le vent et les mouvements brusques, c’est pas terrible pour un appareil photo. Il faut trouver un bon endroit bien stable pour ranger l’appareil. Il peut pleuvoir à l’intérieur. A chaque changement de bord il y a le risque qu’il tombe. On ne peut pas changer d’objectif à l’extérieur si on ne veut pas avoir des capteurs abîmés.
- La difficulté de concilier rôle de matelot et rôle de photographe. Comme dans mes autres expériences de reportage, j’ai un problème pour définir ma place entre participante et témoin-photographe. Comme tous les autres à bord on m’inscrit à un quart avec un rôle dans les changements de voile, moi je vois la belle lumière et l’occasion idéale de photographier, ça mène d’office à une situation difficile.
- mais en même temps, je trouve indispensable de faire partie de l’action qu’on photographie pour la comprendre. Par exemple les manoeuvres demandent une synchronisation et un placement particuliers. C’est beaucoup mieux d’y avoir participé pour savoir où se placer, pour ne pas déranger ceux qui travaillent, pour pouvoir les raconter en images. C’est difficile de se positionner pendant l’action mais impossible si on ne connaît pas cette action.
- Le rapport au temps. Ce genre de projets devrait se faire sur des périodes beaucoup plus longues. Le capitaine / skipper de l’Hawila est également photographe et fait des photos qui me touchent énormément car on sent qu’il vit le bateau et l’équipage entièrement, et l’âme du bateau passe dans ses photos.
- Les prises de vue : le 24 mm était nécessaire et encore insuffisant pour capter tout le bateau. Mais je ne suis pas sûre que les vues en grand angle sur le bateau soient belles (je ne les ai pas mises ici). Ce que j’aimerais, c’est faire des photos depuis un autre bateau, et c’est faire une vue en drône, même si c’est high tech, ça doit être trop beau.
- Essayer d’arriver à une série cohérente et qui rend tout le ressenti. Penser à couvrir différents aspects photo de détails du bateau, d’action et manoeuvres, d’instants partagés, la mer, les matières (cordes, bois), les lumières… et la poésie. Essayer de garder une cohérence dans les couleurs, l’approche. Pas facile…
On est rentrés en une troisième et dernière navigation de 24 heures au port d’attache actuel d’Hawila, à Copenhague. C’est là que je me suis séparée de l’équipage et d’Hawila. Bisous et merci les amis, à bientôt.
Hawila sera à nouveau en cale sèche pour continuer sa restauration. Si vous voulez suivre la progression du projet, suivre la rénovation d’Hawila, peut-etre un jour monter à bord…